Siyas marchait dans les bois, dans une zone, qui étrangement, lui inspirait quelque chose. Une part d’elle-même connaissait, ou du moins avait entendu parler, de ces lieux, mais elle ne savait pas comment elle l’aurait su. Cette forêt, Sylfaën, était le domaine des elfes. La vengeresse ne l’avait jamais connue comme étant sa patrie, elle était née en Perracie, mais une part oubliée d’elle-même en avait longtemps entendu parler, et des elfes qui la peuplaient. Mais Siyas, telle qu’elle était maintenant, ne savait rien de tout cela, car son être était noyé sous des centaines d’âmes vengeresses.

Elle s’arrêta près d’un point d’eau. Elle se sentait bizarre, car elle ressentait des choses qu’elle n’aurait pas dû connaître. La vengeresse ne comprenait pas ce qu’elle ressentait en ce moment, ce qui pouvait causer cette gêne. Siyas, l’ancienne Siyas, avant qu’elle ne se perde parmi les autres, aurait su. Elle regarda son reflet, vit ses longs cheveux gris, son beau visage, même si elle ne voyait aucun intérêt à sa beauté en tant que vengeresse, ses yeux rouges. Sa peau était grise également, plutôt claire, mais surtout, elle était froide, froide comme la mort. Elle était morte, mais ça aussi, elle l’avait volontairement oublié, comme tout ce qui touchait à son ancienne vie. Sa vengeance avait pris le pas sur tout, elle avait tout abandonné.

Un bruit attira son attention, et elle leva les yeux. Un elfe se trouvait là, plus jeune qu’elle, et Siyas le regarda curieusement. Elle ne savait pas non plus pourquoi, mais une part d’elle cherchait à la faire haïr cette personne qu’elle ne connaissait pas. Mais les âmes n’avaient aucune raison de tuer cet être, aussi elle ne fit rien que l’observer. L’elfe partit, sans mot dire, mais au pas de course. La vengeresse n’était pas gênée, elle préférait agir seule, marcher seule, ne parler à personne. Mais elle n’était pas rassurée par ce départ soudain de l’elfe et restait sur ses gardes. Elle ressentait une foule de sensations qu’elle n’avait plus ressenties depuis longtemps, et reprit la contemplation de son reflet. Elle ne voulait pas enlever son bustier pour regarder la cicatrice de sa blessure fatale, ça lui faisait toujours mal de la voir.

« Que nous arrive-t-il ? Nous sommes la vengeance, nous ne craignons rien… Et pourtant. »

Un bruit la fit se retourner vivement, son arc à la main. Elle n’était pas certaine de l’endroit d’où provenait le bruit et attendait ce qui allait suivre, sans pour autant ressentir de peur autre que cette gêne qui la suivait toujours depuis qu’elle était entrée en ces lieux.

Mohana était en patrouille pour la Garde Zéphyr ce jour-là. La forêt Sylfaën était calme et paisible comme à son habitude. Et comme à son habitude également, Mohana était d'humeur joyeuse et sereine.
Elle avait croisé quelques animaux qui prirent rapidement la fuite en se rendant compte de sa présence, puis nota sur les feuilles de suivi zéphyrienne l'état de la flore locale. Elle balisa quelques zones pour indiquer aux bûcherons quels arbres ils pouvaient abattre puis enfin, elle prit le chemin de retour.
Elle traversa un bois qu'elle connaissait plutôt bien maintenant pour enfin déboucher sur un chemin terreux avant de rejoindre la voie principale qui menait au village des elfes. Cependant pour y accéder, il fallait passer par la clairière des centaures.
Mohana continuait son chemin lorsqu'elle croisa un jeune elfe qui semblait appeuré. Elle le stoppa.

- Attend, mon garçon. Pourquoi fuis-tu de la sorte?

Le garçon ralentit sa course et arriva face à Mohana. Son visage doux et ce qui émanait d'elle lui fit comprendre qu'il ne risquait rien.

- Il y a une...femme... elfe. Je ne sais pas. Là-bas, près de l'étang. Elle a des yeux rouges comme le sang et son teint... Je suis tout blanc et elle elle est...grise, comme délavée. Elle est belle, mais elle fait froid dans le dos. J'ai eu peur en voyant ses yeux alors je me suis sauvé.

Mohana fronça les sourcils et posa sa main sur l'épaule du jeune garçon.

- Rentre chez toi et oublie cela, il doit simplement s'agir de quelqu'un qui fait une pause dans son voyage et tu ne risques rien. Et si cela peut te rassurer, je vais aller jeter un oeil.

Le jeune elfe hocha la tête puis se remit à courir, afin de se rendre chez lui.
Mohana, elle, marcha un moment avant d'arriver à l'étang. Elle n'était pas très inquiète cela dit, juste très curieuse. La description que lui avait donnée le garçon semblait correspondre à une elfe noire, cependant les yeux si rouges et la peau comme "délavée" la laissait perplexe.

Mohana s'avança alors doucement, écartant les roseaux devant elle, et enfin aperçut la silouhette. Il semblait s'agir d'une femme, plutôt grande et élancée. Elle était accroupie et de dos par rapport à Mohana.

- Excusez-moi de vous déranger, je vous ai aperçue et je me demandais si tout allait bien.

Siyas était aux aguets, certaine d’avoir entendu un bruit, quand une voix douce s’éleva de derrière elle. Elle se retourna, gardant son arc à la main, mais, rassurée par le ton de la voix mystérieuse, n’encocha pas de flèche pour ne pas créer de conflit. Se tenait face à elle une femme à la silhouette plantureuse, qui arborait de généreuses formes malgré sa musculature visiblement bien développée. La banshee plongea son regard rouge dans les yeux verts de la femme, et ne décela rien d’agressif en elle. Elle ne pouvait bien sûr pas se fier à cette première analyse, mais la femme semblait ne pas vouloir l’apeurer ou l’attaquer.

« Excusez-moi de vous déranger, je vous ai aperçue et je me demandais si tout allait bien. »
« Non… Oui ! Tout va bien oui. »

En même temps qu’elle parlait, l’elfe noire s’était rapidement relevée. Elle était à peine plus grande que son interlocutrice. L’ancienne Siyas aurait parfaitement menti à cette inconnue qui arborait les couleurs de la Garde Zephyr, si bien qu’elle serait partie sans rien demander d’autre. Auparavant, elle excellait dans l’art de la manipulation, surtout lorsqu’il s’agissait de jouer de son corps pour arriver à ses fins. A présent, la vengeresse faisait une piètre menteuse, bien que parfois, pour une raison qui lui était inconnue, elle parvenait à jouer de ses charmes comme si cela avait été naturel pour elle.

Elle détailla un moment du regard celle qui lui faisait face, avant de pencher la tête de côté, dans un regard interrogateur.

« Pourquoi vous êtes-vous arrêtée ? Uniquement pour savoir si nous allions bien ? »

Sans le dire, la banshee était plus qu’excédée qu’on la juge à la couleur de sa peau, trahissant les elfes noirs. Mais cela, elle le supportait sans mal, elle n’y prêtait même pas attention, ce qui la gênait réellement, c’est que les gens lui posent des questions, elle avait peur que l’on découvre ce qu’elle est. Cette femme à l’aspect sauvage, qui semblait inné chez elle comme la grâce elfique se ressentait en Siyas, avait-elle percé à jour son secret ? Siyas devait avoir le cœur net sur ses intentions, elle ne se méfiait que trop des traitres.

Ses yeux prirent une légère teinte violacée alors qu’elle appelait sa magie à elle, de manière invisible pour quiconque. Cette vision lui permettait de voir l’âme des personnes. Celle de la jeune femme de la garde Zephyr apparut devant elle, comme une ombre fantomatique au-dessus de sa détentrice. Siyas l’observa, une âme ne saurait mentir sur les intentions d’une personne, mais elle ne vit que gentillesse et inquiétude, et aussi quelque chose de bien plus bestial, qu’elle ne sut identifier. Cela lui parut presque absurde tant cette personne semblait pétrie de bonne volonté, elle avait du mal à y croire, mais l’accepta puisqu’elle savait que ce ne pouvait être faux. Ses yeux revinrent à la normale alors qu’elle regardait avec encore plus d’attention.

« Qui es-tu ? »

L'inconnue face à elle lui affirma que tout allait bien, cependant Mohana sentait bien que cela n'était que de façade, d'autant plus une fois qu'elle avait posé la question, à vrai dire...
Sa première impression était forcément qu'elle avait perturbé la jeune femme en face d'elle -quoique jeune, pour une elfe, cela était plutôt difficile à déterminer- qui se tenait maintenant debout, la main sur son arc. Elle fit un léger plissement des arcades sourcilières puis fixa Mohana dans les yeux. La zéphyrienne ne lâcha pas son regard, nullement intimidée, il fallait dire que malgré sa douceur et sa bonté d'âme, Mohana avait un fort caractère et elle ne baissait jamais les yeux.

« Pourquoi vous êtes-vous arrêtée ? Uniquement pour savoir si nous allions bien ? »

Mohana eût un haussement de sourcil et son visage arbora un air profondément surprise lorsqu'elle entendit "nous".
Elle n'avait vu que la femme seule, au bord de l'eau. Elle chercha alors du regard aux alentours pour voir s'il n'y avait personne et son instinct de félin se mit en marche, elle tendit l'oreille pour écouter si personne n'approchait aux environs. Mais rien. Elle reposa alors les yeux sur l'inconnue.
Celle-ci avait un air plus renfrogné et encore une fois, Mohana fut prise d'étonnement : les yeux de l'elfe noire passaient du rouge à une couleur violacée. Cette fois ce fut son instint de chamane qui s'éveilla : lorsqu'on possède de la magie, on sent la magie. Cependant la nature de cette magie, Mohana ne la connaissait pas... Elle ressentait juste une aura perturbée, qui ne cessait de changer d'énergie et ce fait était très perturbant pour la chamane.
Mohana se mit donc sur ses gardes, après tout, la jeune femme en face d'elle n'était pas si innocente qu'elle pouvait en avoir l'air, penchée là, sur l'eau, recroquevillée. Mais vite, alors que Mohana ressentait l'étrange magie émaner un peu plus, elle entendit à nouveau la voix de l'inconnue.

« Qui es-tu ? »

Mohana haussa un sourcil. Le ton inquisiteur de l'elfe lui arracha un léger sourire. Elles se posaient toutes deux les mêmes questions, probablement surprises par les mêmes choses, bien que Mohana pensait être quelque peu moins brute dans ses paroles.
La rakshassa n'avait pas encore répondu aux trois questions de l'inconnue, ce qu'elle entreprit de faire après une profonde inspiration, et d'une voix toujours aussi douce, elle s'exprima.

- Je m'appelle Mohana Dharitri. Je me suis arrêtée pour voir si vous alliez bien, je vous ai aperçue au loin vous tenir devant l'eau, la fixant, comme si vous étiez absente. -Elle marqua une pause avant de reprendre, l'air sérieux- Vous parlez de vous au pluriel, cependant vous êtes seule devant moi. Du moins physiquement... Mais les apparences peuvent être trompeuses. Je ne vous veux pas de mal, ni à vous, ni aux autres, où qu'ils soient. -Elle marqua une nouvelle pause, se mordant la lèvre, hésitante, avant de reprendre- Mohana n'est évidemment que mon nom, mais je suis beaucoup d'autres choses, comme chacun, comme vous. Je suis également chamane. Nous avons tous divers compagnons qui nous entourent, certains visibles, d'autres moins. La plupart des gens ont des être visibles qui les suivent, pour d'autres, plus rarement, ce sont des entités qui les accompagnent. Et vous, quel est votre nom?

Mohana s'exprimait avec un rythme léger, presque envoûtant et terriblement bienveillant, comme si elle tentait d'adoucir une bête sauvage. Elle sentait que quelque chose perturbait la femme face à elle, tout comme elle même était perturbée. Elle ne savait pas ce qu'il en était, mais il était clair que cet amas d'énergies mouvantes qu'elle percevait en l'elfe n'était pas de l'ordre du courant, et cela l'intriguait affreusement. Mais avant tout, elle ne voulait pas être crainte, il n'y en avait aucune raison, et si malheureusement l'inconnue répondait par l'agressivité, il serait toujours temps de changer de tactique.

Les paroles de la chamane se faisaient légères alors qu’elle se présentait, relevant également que la vengeresse n’était point seule. Mais aucune entité ne l’entourait, elle ne voyait pas d’esprits, elle était littéralement plusieurs à elle seule, un amalgame de plusieurs âmes réunies en un seul corps, un seul esprit, qui nourrissait un désir de vengeance immense. Le ton léger et envoûtant de Mohana n’avait rien d’une tromperie, aussi la vengeresse jugea qu’elle ne mentait pas sur ses intentions, qu’elle n’était pas le genre de personne qu’elle traquait. La vengeresse se détendit et rangea son arc.

« Nous étions Siyas Baeren autrefois. »

Comparée à celle de Mohana, la voix de la banshee était froide et cassante, mais elle ne donnait pas l’air de se forcer pour obtenir ce résultat, cela semblait lui venir naturellement, comme si ce ton était toujours le sien. Pourtant, en écoutant bien, on pouvait relever la mélodie d’une voix sensuelle elfique cachée derrière. La vengeresse savait qui était Siyas, elle savait, au fond d’elle, qu’elle était Siyas, mais n’en avait pas conscience, submergée qu’était cette pauvre âme sous toutes celles qu’elle avait récoltées par la suite. Elle regardait Mohana avec un mélange de curiosité et de méfiance, craignant qu’elle ne s’approche trop près et qu’elle découvre la vérité. La vengeresse aimait le secret.

« Personne ne nous accompagne, nous sommes un. Nous ne voyons pas d’êtres invisibles, pas plus que nous sommes accompagnées. »

Elle marqua un temps d’arrêt pour observer à nouveau l’âme de son interlocutrice avec d’avantage de curiosité. Les âmes ne pouvaient se refuser à tout lui dévoiler sur leur détenteur, mais une chose profondément ancrée dans cette âme refusait de se dévoiler à elle, ce qui l’énervait d’autant plus. Parfois, certaines âmes tentaient vainement de résister à sa magie qui les contraignait à se dévoiler, comme si elles tâchaient de se protéger, l’âme de la chamane faisait preuve d’une bonne volonté incroyable, dévoilant tout ce qui Siyas pouvait lui demander, dans les limites de sa magie. Elle ne pouvait dévoiler de secrets intimes via les âmes, pas plus qu’elle pouvait deviner les pensées, mais l’âme reflétait l’état d’esprit de la personne, et repérer une âme entachée par la souillure du meurtre était aisé pour la vengeresse. Elle pencha la tête de côté, plus curieuse qu’effrayée ou méfiante à présent.

« Vous êtes entachée par quelque chose, Mohana, de quoi s’agit-il ? Quelque chose vous affecte de l’intérieur n’est-ce pas ? »